Kassel/Athènes/Paris, un triangle, un trépied, des allers/retours entre surface et profondeur.
Bâtir sans fondement, faire parler les ruines, convoquer les dieux et déesses, s’apprêter pour des oracles, batailler sur le résultat, enfreindre la patine du marbre, régurgiter la peste brune, que sais-je ?
Kassel/Athènes. Ces endroits ne sont pas les miens. Leurs langues me sont l’une et l’autre sans prise. Pourtant je ne me sens pas étrangère, mais passagère. A l’échelle d’un individu je suis une migrante confortable, du type bourgeoise bohème française. Rien, hormis mon certificat de naissance ne trahit ma migration. Je suis de celles qui se sont autorisées à perdre les pleins pouvoirs pour continuer à vivre. J’ai pris le rôle du faible alors que j’héritais des chromosomes des rois. J’ai choisi d’assumer le rôle de l’opiniâtre qui cherche à faire comprendre la nécessité de repenser le corps comme une matière meuble. Je migre d’un statut vers un autre en demandant des aménagements de peines… Dans cette nouvelle vie, j’avance au quotidien sur des pierres émergeantes, balançant d’un pas sur l’autre sans être sûre que mes appuis ne me trahissent !
Apprendre est moins conflictuel que désapprendre, je le sens. J’ai été forcée à coller mes gestes à mon apparence pendant une adolescence sans fin. C’est la femme que j’ai gardée secrète, qui m’a rendue adulte. Apprendre à être son sexe n’est rien, c’est juste une méthode pour caser ou savoir se caser. J’ai rompu la chaîne, j’ai repoussé la berge de mon pied, j’aime les sols mous parce qu’au moins ce n’est pas le corps qui épouse la forme mais la matière qui s’adapte au corps. Pourtant le minéral m’attire, il griffe mon épiderme et fait apparaître mon sang. Je suis pleine du sang, d’une colère contenue par la peau. Seul le sang n’a pas les mêmes frontières. Mon pays est B+, vous ne pouvez pas le lire sur mon visage, seuls les B+ savent qu’ils sont du même endroit. A Kassel/Athènes/Paris, les B+ ne se connaissent pas, ne parlent pas la même langue, mais au moins ils se savent importants les uns envers les autres. A cet endroit, l’identité est une mécanique imparable et sans mensonge.
Ce sont les maux jaillissant des peuples dépossédés qui me font écrire, ceux des corps en contradiction entre leur désir de liberté individuelle et de l’affirmation d’une société. Je cherche l’odeur qui les identifie. Je m’imprègne de la sueur du troupeau qui lutte pour rester en vie alors que les bourreaux resserrent l’enclos du pouvoir entre leurs mains ! J’ai comme vous hérité de l’histoire d’une Europe du conflit, le sang est devenu une vapeur mais comme un volcan qui refait ses réserves, un puits se remplit, silencieux. Un nouveau chaos semble se préparer, ou peut-être n’a-t-il jamais cessé de grossir…