J’ai entendu dire que lors de l’un de ses séjours aux Marquises, Paul Gauguin eut l’idée de peindre à même la carapace d’une jeune tortue vivante, égarée sur une plage. Je me plais à penser que grâce à la longévité dont jouit cette espèce, une oeuvre du peintre, tout en échappant ainsi à la cupidité des spéculateurs, continue, aujourd’hui encore, de sillonner les grands fonds dans son petit musée ambulant.
Quelle anecdote plus appropriée pour illustrer notre désir de proposer au public une vision singulière de l’art, en particulier de la peinture ?
Singulière surtout en ce qu’elle englobe, et l’oeuvre finie et la phase de fabrication des images, étape de l’élaboration d’une oeuvre à nos yeux décisive. On l’aura compris, non pas décisive dans son aspect documentaire, mais bien dans la dimension dramaturgique de la création d’images dans le spectacle vivant.
Ce n’est pas au gré des vagues de Polynésie que nous nous proposons de le faire, mais dans le flot de la circulation urbaine, au beau milieu d’un carrefour ou d’une place publique, là où nous aurons installé notre grand chevalet. Notre musique, jouée en direct, ainsi que les voix de notre récitante et de nos peintres eux-mêmes remplaceront le bruit du ressac et la plainte du vent dans les cocotiers, qui devaient constituer le fond sonore de l’activité de Gauguin.
J’ai voulu un spectacle visuel et musical qui fasse directement appel à la sensibilité des spectateurs, et ce, avant toute approche intellectuelle, sans, bien entendu, jamais empêcher l’accès à cette dernière. Le texte y est largement présent mais j’ai voulu qu’il s’apparente, pour sa plus grande part, à la musique.
Aussi l’ai-je composé comme une succession de fragments, chacun tentant de restituer un univers particulier, une atmosphère singulière, comme on le ferait, après tout, de toiles dans une exposition de peinture, de chansons dans un récital, de poèmes dans un recueil, c’est à dire tout à fait dissociables les uns des autres mais unis pour l’occasion, dans un souci de cohérence et d’harmonie. Ils opèrent comme autant de tableaux vivants, en perpétuel mouvement.
C’est la forme qui me convenait le mieux pour vous dire, en une heure, ce que j’avais à vous dire.
Luc Amoros